Qu’attend la FCD des programmes des candidats à l’élection présidentielle - Interview de son Délégué Général à LSA
LSA - La campagne présidentielle se profile. Qu’attendez-vous des candidats pour le commerce ?
Jacques Creyssel - Nous rencontrons les candidats et leurs états-majors pour d’abord leur expliquer la formidable mutation que vit aujourd’hui le commerce. Le business model d’origine, fondé sur une croissance forte et un coût faible du foncier, est transformé. Les consommateurs vivent dans un monde connecté, où le nouveau service est la norme. Et la révolution numérique multiplie les ruptures, avec la montée en puissance des données, la transformation de la chaîne de valeur liée à l’ubérisation de certaines activités, et le développement de l’intelligence artificielle, et donc de la robotisation, au niveau des caisses, dans les entrepôts, dans les modes de livraison. Qui dit révolution dit donc besoin de réforme systémique de l’action politique vis-à-vis du commerce. C’est dans ce cadre que nous leur faisons part de nos trois priorités : assurer l’égalité des conditions de concurrence entre les différentes formes de commerce ; établir un nouveau partenariat avec le monde agricole pour faire face à la volatilité des marchés. Enfin, mettre en place de nouveaux modes de relations commerciales, pour sortir du « tout juridique » et remettre le produit au cœur de la négociation. L’exemple de la fiscalité est symbolique. Le débat porte aujourd’hui le plus souvent sur la nécessité de faire payer aux GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR], la TVA ou l’IS sur leur activité réelle. Cela est indispensable, mais le problème est plus large ! Originellement, la fiscalité a été bâtie sur la base des biens physiques, et donc du foncier. Or, l’économie est de plus en plus immatérielle. Si on maintient ce système, un nombre de plus en plus réduit de magasins devra payer de plus en plus d’impôts, tout en subissant une concurrence toujours plus forte. Nous proposons donc de transformer le système en supprimant les impôts sur le foncier, y compris la Tascom, payés par les seuls magasins physiques, et en les remplaçant par un impôt payé par tous, sur la valeur ajoutée, que ce soit la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) ou la TVA. Il est temps de se rendre compte qu’augmenter la Tascom est l’équivalent d’une aide d’État à Amazon ! Dans ce domaine, comme en matière d’urbanisme commercial, d’ouverture de magasins, ou de réglementation sur les ventes, nous demandons une réforme de grande ampleur ! Et l’enjeu est majeur : c’est celui de la ville de demain, du vivre ensemble. Mais aussi celui de l’emploi, puisqu’un magasin physique emploie trois fois plus de salariés qu’un magasin non physique.
LSA - Le quinquennat Hollande a pourtant déjà produit de nombreuses lois – urbanisme, travail, fiscalité, ouverture le dimanche. Quel bilan en faites-vous ?
J. C. - Les mesures prises en faveur du coût du travail peu qualifié, avec notamment la création du CICE, ont été positives, même si elles n’ont que partiellement compensé la totalité des hausses d’impôts, et de charges, ou le relèvement du forfait social. Notre objectif est de parvenir à zéro charge sur le Smic – il y a encore 5 points d’écart –, qui est la condition d’une fusion ultérieure du CICE et des allégements de charges. Malheureusement, il y a aussi des aspects négatifs. Le plus frappant est l’absence de cohérence d’un certain nombre de mesures par rapport aux grands enjeux d’aujourd’hui : pourquoi créer de nouvelles contraintes pour les franchisés dans la loi El Khomri, alors que ce système est une réussite française unanimement louée ? Pourquoi réformer en permanence l’urbanisme commercial, contrairement aux engagements pris, pour handicaper le commerce physique ? Rien que ces derniers jours, viennent de paraître, sans la moindre concertation, deux décrets sur la compensation des terres agricoles, et sur l’obligation de réserver jusqu’à 1 200 places pour des vélos sur le parking des hypermarchés. Veut-on vraiment la disparition des magasins ? En matière d’ouverture le dimanche, la loi Macron n’a rien changé, sauf pour quelques magasins, dans quelques zones touristiques. Dans notre secteur, on déduit désormais trois jours fériés du nombre d’ouvertures de magasins autorisées le dimanche, ce qui conduit à moins pouvoir ouvrir qu’avant la loi Macron ! Le sujet du travail en soirée n’a pas été réglé, ainsi que l’ouverture des magasins de proximité, le dimanche après-midi. Dans le même temps, les sites internet, eux, se lancent dans la livraison de produits alimentaires le dimanche, à toute heure ! Il est temps de donner une véritable liberté d’ouverture, pour offrir aux consommateurs les services qu’ils attendent.
LSA - La loi Sapin, qui revient devant le Parlement en septembre, doit fixer de nouvelles règles en matière de relations commerciales. Sont-elles bonnes ?
J. C. - Nous sommes totalement en phase avec le maître mot de la loi Sapin, la « transparence », et notamment celle des marges. Les distributeurs le font depuis longtemps dans le cadre de l’Observatoire des prix et des marges. Tout le monde doit s’y mettre. C’est la clé du retour à des relations commerciales plus apaisées entre tous les acteurs, Malheureusement, au-delà de ce principe positif, le projet de loi Sapin instaure de nouvelles contraintes sur les marques de distributeurs ou les centrales d’achats internationales, dont nous espérons qu’elles seront levées. Il faut arrêter de modifier en permanence les règles du jeu. Regardez la proposition de loi sur l’abus de dépendance économique : avec ce type de loi, Michel et Augustin n’auraient jamais existé, puisqu’ils n’avaient à leurs débuts qu’un seul client et auraient été, de ce fait, en situation de dépendance économique ! Plus fondamentalement, les acteurs, notamment industriels et distributeurs, doivent prendre la main pour réfléchir à de nouveaux modes de relations, et arrêter de s’en remettre aux pouvoirs publics. Le droit a pris le pas sur la relation commerciale. La liberté même de négociation est mise en cause par les décisions jurisprudentielles sur l’obligation de contreparties. Les sanctions deviennent absurdes. Travaillons donc ensemble autour de quelques questions fondamentales : comment simplifier le dispositif légal ? Peut-on définir entre professionnels les clauses autorisées ou interdites ? Doit-on avoir les mêmes règles quelle que soit la taille des entreprises ? J’ai déjà évoqué cette idée de réflexion commune avec la Feef et Coop de France, et je dois le faire avec le président de l’Ania dans les prochains jours.
LSA - La situation agricole – lait, bœuf – est très tendue. Comment la résoudre ?
J. C. - Nous connaissons une des crises les plus graves que l’agriculture ait vécue depuis plus de vingt ans. Des drames humains se jouent au quotidien. Nos agriculteurs attendent des perspectives claires. Mais cette crise n’est pas uniquement française. Il s’agit d’abord d’une crise de marché, due à un excès d’offre par rapport à la demande. Comme l’a dit le Premier ministre, il y a quelques mois, la grande distribution n’est pas responsable de cette situation internationale, les prix français évoluant d’ailleurs exactement comme la moyenne européenne. Nous avons, en revanche, tous une responsabilité commune, qui est d’enrayer la baisse de consommation de certains produits, et de rechercher la création du maximum de valeur pour les produits.
LSA - Et cependant, il y a toujours des tracteurs sur les parkings des hypermarchés et des producteurs dans les magasins, pour dénoncer les prix pratiqués en grande distribution...
J. C. - Oui, malheureusement, et nous condamnons ce type de comportements. Il faut mettre en place un dialogue plus serein et plus responsable. Les modifications successives de la Pac ont conduit les producteurs à devoir affronter, sans véritable réforme préalable, des marchés extrêmement volatils. Pour autant, les pouvoirs publics continuent à privilégier les plans de sauvegarde de court terme aux démarches stratégiques. C’est pourquoi nous appelons à un véritable nouveau partenariat entre producteurs agricoles et distributeurs, fondé d’abord sur un diagnostic commun de la situation : comment évolue la consommation ? L’offre, par exemple de viande bovine française, correspond-elle aux demandes des consommateurs et des restaurants ? Quels écarts entre les coûts de revient des producteurs ? Regardons l’exemple du porc : alors que son cours est aujourd’hui heureusement remonté à 1,47 € le kilo, celui du porc bio est à 3,50 €. Et pour autant, la France importe les deux tiers de sa consommation de porc bio. Qu’attendons-nous pour modifier cette situation et créer un nouveau modèle agricole français ? Là aussi, repartons du consommateur, pour adapter la production et demandons à la puissance publique d’accompagner ce mouvement par un plan de désendettement massif, et mettons en place des instruments modernes de marché, assurances et couvertures à terme, pour faire face à la volatilité. La lecture des récentes propositions de la FNSEA et des JA [Jeunes Agriculteurs, NDLR] me donne à penser que les choses évoluent dans le bon sens. Nous sommes, là encore, prêts à travailler avec les représentants du monde agricole.
LSA - D’une manière plus globale, les politiques soutiennent le «produire en France». Cela correspond-il à une réalité ?
J. C. - On ne peut qu’être favorable à une telle démarche. Nous avons besoin d’un secteur de production fort. L’évolution du marché est, à cet égard, positive. La majorité de la croissance depuis début 2016 vient des produits locaux (le «produit en Bretagne » est bien plus dynamique que le « produit en France »), des produits de PME, qui ont souvent une capacité d’innovation supérieure, et enfin des produits qui favorisent la santé – bio,sans gluten... Tout cela fait sens et crée de la valeur. Nous avons joué le jeu de l’étiquetage d’origine et continuerons à le faire. Et nous publierons sous peu les résultats d’un nouvel Observatoire FCD-Feef sur les PME.
LSA - Où en sont vos accords avec Coop de France et la Feef ?
J. C. - C’est pour nous un axe stratégique. Nous avons signé trois accords avec la Feef, et la croissance des produits PME montre tout le bénéfice commun qui en a résulté. La différenciation PME est aujourd’hui une réalité. Avec Coop de France, nous travaillons sur des sujets très concrets comme la logistique, la mise en avant des produits coopératifs, ainsi que la relation commerciale par l’intermédiaire d’un code commun de bonne conduite. Nous déclinons nos accords en région entre les enseignes et les coopératives, en région Paca en mars dernier, et dans trois régions françaises dans les mois qui viennent.
LSA - Les opérations de promotion se multiplient, qui ravivent les craintes des industriels de continuer d’avoir à subir la guerre des prix. La situation vous paraît-elle plus tendue ?
J. C. - Nous le disons et répétons, la baisse des prix n’est pas un objectif en soi, et est, à terme, dangereuse pour tous les acteurs. Aujourd’hui, la France n’est pas dans une situation particulière ; les prix sont légèrement négatifs ou stables comme dans les autres pays. De plus, l’argent économisé par le consommateur est totalement réinvesti vers des produits de qualité supérieure, le local, le bio. Tout cela est favorable à la croissance. C’est ce qu’on appelle la « premiumisation ». C’est par la recherche de valeur que l’on sortira de la situation actuelle. Cultivons notre différence positive qui est celle d’être le pays où le budget alimentaire et le choix des produits restent les plus élevés.
LSA - La concentration des enseignes et des centrales d’achats au niveau européen vous paraît-elle inéluctable, et souhaitable ?
J. C. - La France se caractérise par un nombre d’acteurs, dans la distribution, supérieur à celui de nos voisins européens. Il existe une dizaine de centrales d’achats dont certaines se sont alliées pour l’achat d’un nombre limité de produits. Les alliances récentes ne font donc que nous rapprocher de la moyenne européenne. Mais il faut surtout ouvrir les yeux un peu plus grand. La compétition est aujourd’hui mondiale. Nos concurrents s’appellent également Amazon et, demain, les géants chinois. Alibaba, lors du dernier Consumer Goods Forum, évoquait son intention de passer dans les prochaines années de 500 à 1 000 milliards de dollars de chiffres d’affaires. C’est pour cela que nous appelons à une nouvelle politique du commerce.
Entretien paru sur LSA
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